Y aura-t-il un nouveau Nouvel Hollywood?

Paul Vacca
3 min readJan 29, 2021

Celui qui se hasarderait à pronostiquer la mort du cinéma serait bien téméraire. Le cinéma a trépassé tellement de fois que trouver un légiste capable de certifier sa mort définitive ne sera pas chose facile.

Déjà en 1953, Paris Match titrait : « Le cinéma va-t-il disparaître ? ». Et visiblement le grand écran a bénéficié d’un petit sursis d’une soixantaine d’années.

Et puis bien malin aussi celui qui peut prédire comment le public réagira lorsque les salles rouvriront. Il y a la thèse qui voudrait que nous nous soyons déshabitués et donc qu’on aurait finalement perdu le goût de retourner vers les salles obscures. Et puis, n’a-t-on pas tout à la maison à portée de clic ?

Or, on peut tout aussi logiquement soutenir le point de vue inverse : la fermeture des cinéma pourrait au contraire attiser notre appétence pour les grands écrans. A ce titre certains tablent même sur un scénario « années folles » en référence au siècle dernier qui avait vu après la grippe espagnole et la Grand Guerre une ruée vers les lieux de spectacles et les restaurants.

Autre analyse possible, l’expérience du cinéma du fait même de son absence pourrait bénéficier d’un effet revival. Un retour de hype face à la banalisation progressive de la SVOD. Comme le vinyle a vu son obsolescence assurer sa renaissance auprès des nouvelles générations, on n’est pas à l’abri de voir un jeune public délaisser — momentanément — ses petits écrans pour découvrir la joie du grand écran et se démarquer ainsi de ses parents et grands-parents qui sont désormais scotchées à Netflix.

Bref pour paraphraser Mark Twain, la mort du cinéma est largement surestimée même si, du fait de la pandémie, on peut aujourd’hui parler de mort clinique.

Mais la seule question qui vaille, c’est de savoir comment ce mort présumé va renaître.

A ce titre, il est intéressant de noter que le cinéma avait connu un état de mort clinique similaire dans les années 60. À l’époque ce n’était pas — contrairement à ce que l’on entend dire parfois — la télévision qui avait “disrupté” le cinéma, mais celui-ci qui avait perdu sa capacité à se rendre vivant auprès du public ne sachant plus comment le séduire et le surprendre.

Les grands studios, dirigés par des tycoons bien calés dans leur fauteuils en cuir le cigare vissé aux lèvres, se contentaient d’appliquer des recettes qui avaient fait leur fortune avec des acteurs, des scénaristes et techniciens sous contrat. Ça ronronnait.

La sortie du coma est venue du Nouvel Hollywood, à savoir cette nouvelle génération (les Scorsese, Coppola, Lucas, Polanski, Spielberg mais aussi des producteurs comme Robert Evans et des acteurs comme Jack Nicholson ou Warren Beatty) qui ont alors administré un traitement de choc au cinéma en à base électrochocs : le public galvanisé retrouva alors en masse le chemin des salles obscures.

Or, comment ne pas voir que Hollywood ces derniers années développe la même aversion au risque que les tycoons d’antan en jouant la carte de la sécurité via des franchises déclinées jusqu’à plus soif en sequels, prequels, cross-over et autres reboots. Au point que ces dernières années on a assisté à une logique à front renversé : c’est Netflix qui produisait des prototypes — avec Mank de David Fincher, Roma de Alfonso Cuarón, Uncut Gems des frères Safdie ou encore Marriage story de Noah Baumbach… — alors que Hollywood et notamment la galaxie Disney enchainait dans une logique sérielle les épisodes de son Marvel Cinematic Universe.

Avec l’offre de streaming qui va se développer et fatalement s’uniformiser il y a de fortes chances que cette logique sérielle au cinéma risque de n’être plus vraiment opérante.

Pour renaître le cinéma doit nous reprendre par surprise. Créer un nouveau Nouvel Hollywood en quelque sorte. Comment ? Eh bien, si on le savait, ce ne serait plus vraiment une surprise.¶

Tribune parue dans le magazine Trends-Tendances du 21 janvier 2021.

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Paul Vacca

Auteur. Chroniqueur pour Les Échos Week-end. Intervenant à l'Institut Français de la Mode (IFM Paris), à l’ISG Luxury Geneva (Suisse).