Insulter moins pour insulter mieux

Pour une écologie du trolling sur les réseaux sociaux : restaurer l’art perdu de l’insulte.

Paul Vacca
4 min readMar 8, 2019

Cela se révèle chaque jour un peu plus flagrant : les réseaux sociaux deviennent pathétiquement asociaux. Même Instagram, un temps épargné par le phénomène des trolls, devient tout autant que ses petits camarades Twitter et Facebook, la cour de récréation d’insultes, de clashs, de cyber-harcèlements et autres amabilités.

Face à cette épidémie — et notamment suite à la révélation des actions de la Ligue du LOL — le gouvernement français a décidé d’agir. En ajoutant un arsenal de mesures inapplicables à d’autres mesures qui ne sont pas appliquées. Comme par exemple, en préconisant d’interdire l’anonymat. Aussi efficace qu’une ligne Maginot pour endiguer les attaques des trolls. Car en admettant que par magie une telle interdiction soit envisageable, cela ne résoudrait rien puisque un grand nombre des harceleurs le font à visage découvert.

Pour lutter contre ce flot d’insultes et de haines, on devrait faire preuve de plus de réalisme. Le trolling pouvant être considéré comme une pollution de l’espace public — entre déjections canines et marée noire — on gagnerait à s’inspirer des mêmes méthodes que pour la promotion des bonnes pratiques environnementales : mettre en sourdine la méthode punitive et opter pour une méthode positive. Pratiquer la politique du nudge — le coup de pouceavec de l’incitation plutôt que celle de la répression de toute façon irréaliste voire contreproductive. Pourquoi ne pas penser ici aussi en termes de transition ?

On a constaté qu’il était utopique de vouloir convertir directement un consommateur de viandes au veganisme et qu’il s’avérait plus efficace de promouvoir une approche plus graduelle et ouverte – celle du flexitarisme – visant à encourager la consommation de viande en moindre quantité, mais de meilleure qualité. De la même manière, il apparaît tout aussi illusoire de vouloir transformer directement un troll en licorne bienveillante. Là aussi, il conviendrait peut-être de procéder par étapes. Adopter une logique «flexitrollienne» en quelque sorte: ne pas chercher à convertir le troll, mais l’inciter à troller moins, en trollant mieux.

Car ce qui frappe au-delà de la virulence des attaques en ligne, c’est leur affligeante médiocrité. Il y a un problème d’inculture manifeste. Pour y remédier, il conviendrait d’initier les trolls à l’art de l’insulte. Cela pourrait faire l’objet d’un module d’enseignement dès la maternelle, d’un MOOC et pourquoi pas d’un programme télévisuel sur le modèle de Top Chef ou The Voice pour élire celui qui composerait le meilleur clash.

Des coachs pourraient former les candidats à quelques bonnes pratiques et les initier aux subtilités de l’art de l’insulte. En leur leur apprenant par exemple que s’attaquer au physique d’une personne, à son genre, à son appartenance sociale ou à sa religion se révèle non seulement d’une banalité confondante, sans imagination ni humour mais de plus totalement inefficace. La bonne insulte pour toucher sa cible gagne à être taillée sur-mesure.

Les coachs pourraient leur prouver que la bonne insulte est celle qui crée un effet de surprise par la variation de ses angles d’attaque et son rythme propre et pas celle qui se contente de répéter en boucle les mêmes sempiternels éléments de langage.

Ils pourraient également les aider à faire leurs gammes avec des maîtres de l’insulte que sont Jules Renard, Rimbaud, Baudelaire, Victor Hugo, Voltaire, Shakespeare, Molière, Albert Cohen, Oscar Wilde, Pierre Dac… Mais aussi pourquoi pas avec quelques punchlines homériques du rap ou avec le capitaine Haddock et son imagination foisonnante en matière de sobriquets ?(1)

Les trolls y apprendraient qu’une déclaration de haine pour être efficace demande autant d’inspiration et de sincérité qu’une déclaration d’amour : dans les deux cas, le destinataire doit y être traité comme quelqu’un d’unique, d’irremplaçable, d’indispensable.

E t que pour espérer ciseler une insulte haut-de-gamme, il faut avoir la force de résister aux pièges tendus par les réseaux sociaux : la dictature de l’immédiateté, la facilité des simplifications et les pathétiques effets de meute.

Il y aurait alors peut-être quelques chances que le troll prenne conscience que pratiquer l’art de l’insulte revient à manier le mépris mais avec respect : respect de soi d’abord, de son adversaire ensuite, et plus largement de la communauté en polluant moins l’espace public. Insulter moins pour insulter mieux serait peut-être un petit pas pour le troll mais assurément un grand pas pour les réseaux sociaux.¶

(1) Lire Jean-Paul Morel, Le Meilleur des insultes et autres noms d’oiseaux (Mille et Une Nuits/Fayard)

Tribune parue dans le magazine Trends Tendances du 7 mars 2019

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Written by Paul Vacca

Auteur. Chroniqueur pour Les Échos Week-end. Intervenant à l'Institut Français de la Mode (IFM Paris), à l’ISG Luxury Geneva (Suisse).

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