Comment réussir un hold-up à 450 millions de dollars

Vini, Vidi, Leonard de Vinci. Pourquoi fabriquer un faux tableau aujourd’hui quand on peut en inventer un vrai ? L’histoire du ‘Salvator Mundi’, le tableau le plus cher de l’histoire : un “Leonardo post-vérité”.

Paul Vacca
4 min readSep 18, 2019

Pour réussir un casse dans le monde de l’Art, plus besoin de dévaliser une galerie ou un musée. Trop dangereux. Ni de s’ingénier à réaliser un faux tableau. Trop risqué. Mieux vaut en inventer un vrai.

C’est à peu près l’histoire du Salvator Mundi, tableau obscur cédé en 1956 pour 45 livres sterling — larga manu, 500 dollars d’aujourd’hui — dans une vente aux enchères pour être finalement adjugé en 2017 à 450 millions de dollars chez Christie’s comme un Léonard de Vinci, devenant ainsi le tableau le plus cher de l’histoire. Soit le récit d’un inside job, comme on appelle les hold-up organisés de l’intérieur.

U n Ocean’s Eleven parfaitement légal impliquant plusieurs personnes du monde de l’Art qui a permis de transformer un tableau en ruines — et sans l’éclat léonardien selon certains experts qui l’ont vu avant restauration — en un flamboyant Léonard de Vinci.

Tout commence par un simple mail reçu en 2008 par Martin Kemp, professeur d’Histoire de l’Art à Oxford, spécialiste reconnu de Léonard de Vinci, auquel il n’aurait pas dû répondre tant il est bombardé continuellement de sollicitations du monde entier concernant l’auteur star de La Joconde. Mais comme celle-ci émane de Nicholas Perry, le directeur de la National Gallery, il prend la peine de répondre et de se déplacer pour voir le tableau où l’on devine plus qu’on ne voit un Christ portant une boule de cristal. Kemp avouera malgré l’état déplorable et brumeux de la toile avoir « ressenti comme une présence physique du même ordre que celle que j’ai sentie face à Mona Lisa ». Il appellera cela le « zing » tant il s’agissait pour lui d’un sentiment inexplicable et totalement irrationnel.

Reste que l’on ne débourse pas 450 millions de dollars pour un tableau à partir d’un simple « zing », fût-il celui d’un expert reconnu. C’est là que le travail d’équipe va se révéler payant pour réussir le hold-up.

Or, petit problème, notre conception moderne de l’auteur n’est plus celle qui prévalait à la Renaissance. Les ateliers dans lesquels les artistes honoraient des commandes étaient plus comparables à des agences d’architectes ou de design d’aujourd’hui où le créateur dessine des croquis exécuté ou finalisé par d’autres. Le rôle concret de l’artiste en question — le chef de l’atelier-—dans l’exécution du tableau est déterminant aujourd’hui, car notre idée moderne de l’auteur — et le prix du tableau donc — est liée à la personne.

Entre alors en scène l’équipe chargée des certifications écrites. En effet, on peut conjecturer qu’il y a plus de chance que l’artiste ait tenu le pinceau si la commande émane d’un client important. Il est logique qu’il s’implique plus dans l’exécution d’une commande pour le Roi de France — comme c’est censé être le cas du Salvator Mundi — que pour celle d’un simple marchand de province. Mais nulle trace écrite de commande et encore moins de contrat.

Le relais passe alors aux experts chargés de retrouver la griffe de l’artiste dans le style même de l’œuvre. Pas si simple. Cela implique de comparer le tableau avec les « canons » de l’artiste — c’est-à-dire sa façon habituelle de procéder. Mais des biais apparaissent aussitôt : l’artiste a naturellement pu changer de style durant sa carrière, c’est le propre d’un artiste. Imagine-t-on comparer un Picasso période bleue avec le Picasso cubiste ? Même s’il existe certains invariants—qu’un œil expert sait déceler — la manière d’un artiste en tout cas évolue, voire mute… Et paradoxalement plus l’on prouve qu’un tableau est conforme aux canons établis plus cela peut mener à la thèse d’une copie par un membre de l’atelier. Mais s’il ne ressemble en rien aux canons, ouvre autant de doutes. Là encore : chou blanc.

C’est alors à l’équipe chargée de la restauration de s’investir. Et cela tombe bien, le tableau étant en si piteux état — rappelons qu’il avait valu 46 £ à l’origine. Or, la restauration est loin d’être, comme on le pense souvent, une simple restauration. On répare des « pertes », on crée des « ponts de consolidations », on effectue des « intégrations », autant de termes qui montrent qu’il s’agit plus d’une re-création que d’une simple restauration d’un état ancien. Ou plus précisément, une restauration fait toujours l’hypothèse d’un état jugé initial. Et, tout naturellement, les options prises par l’équipe de restauration ont visé — sous la pression amicale des propriétaires évidemment — à rendre la peinture « convaincante ». Opération réussie : après sa restauration le tableau ressemble parfaitement à l’idée que l’on se fait d’un véritable Leonardo.

Mis aux enchères chez Christies New York avec une réserve de 100 million de dollars le tableau sera adjugé en 2017 au prix de 450 Millions de dollars.

Et cette même année, Walter Isaacson, célèbre auteur d’une biographie de Steve Jobs, intègre un chapitre sur le Salvator Mundi dans son ouvrage intitulé Léonard de Vinci: la biographie apportant ainsi sa dernière touche à un hold-up parfait.

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Paul Vacca
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Written by Paul Vacca

Auteur. Chroniqueur pour Les Échos Week-end. Intervenant à l'Institut Français de la Mode (IFM Paris), à l’ISG Luxury Geneva (Suisse).

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