Comment dégoûter un ado de lire des classiques

Comment faire lire un ado à l’heure de Fortnite, Netflix et les réseaux sociaux? Et surtout des classiques. Vaste mystère. En revanche, voici quelques conseils pour être sûr qu’il ne prendra pas en main un classique…

Paul Vacca
5 min readApr 10, 2019

I l faut dire qu’on l’a un peu cherché. A force d’écrire que le déclin du livre est une fake news, qu’il a toute sa place dans notre horizon numérisé, qu’il est une nouvelle expérience, fatalement on nous demande des comptes. Souvent personnels : comment faire lire l’adolescent à la maison dont visiblement le temps d’attention est plus accaparé par Fortnite, Netflix ou les réseaux sociaux que par la lecture ? Aurions-nous une recette pour convertir l’ado de la famille à la lecture ?

Et là immanquablement, nous sommes dans l’obligation de décevoir nos interlocuteurs : la prescription reste pour nous aussi un mystère insondable. Une équation à deux inconnues qui tient autant de la nature du destinataire que de l’identité du messager. Combien de fois nous-même avons-nous repoussé un livre uniquement parce qu’il nous avait été conseillé par nos parents, imposé dans le programme ou même préconisé par des documentalistes ? Déjà Montaigne disait qu’il n’aurait « rapporté du collège que la haine des livres ».

Et puis, les efforts sont rarement récompensés. C’est un cercle des plus vicieux. Plus on essaie d’inciter à lire, plus on s’expose au rejet. Si nos parents nous avaient préconisé l’écoute du punk ou de la new-wave, pas sûr que nous aurions jamais écouté ça.

Pour autant soyons constructif. Si nous sommes incapables de savoir ce qui peut inciter un ado à la lecture, nous avons en revanche quelques petites notions sur ce que l’on peut faire pour ne pas donner lui donner envie de lire. Certains y parviennent très bien : en voulant manifestement s’adapter à leur public ils n’ont de cesse de vanter la lecture comme une activité facile, un passe-temps cool.

Non seulement c’est mensonger (la lecture nécessite un minimum d’effort, de concentration et de déconnexion et elle ne sera jamais aussi cool que regarder une vidéo sur YouTube ou chatter sur WhatsApp), mais c’est parfaitement inefficace. Imagine-t-on vanter un jeu vidéo ou un sport parce que c’est facile ? Parce que cela ne demande aucun effort ?

Mais ceux qui s’y prennent le mieux pour ne pas donner envie de lire sont ceux qui auraient au contraire vocation à transmettre le goût de la lecture : les éditeurs de romans classiques. Dès la couverture, lorsqu’ils mettent la photo d’un film ou d’une série TV dont l’adaptation a eu du succès. Certes, on comprend bien qu’il y ait une opportunité commerciale à exploiter. Mais cela crée un effet pervers pour le lecteur potentiel. Par une sorte de renversement, le livre devient, non plus l’original, mais une dérivée du film ou de la série, comme s’il s’agissait d’une novélisation, à savoir l’adaptation romanesque de sa propre adaptation. Et puis, au-delà, cela réduit dès la couverture le champ de l’imagination. La richesse d’un livre c’est justement de permettre au lecteur de se faire ses propres images à partir du texte de l’auteur et pas de se les faire imposer.

Mais un délit plus grave est souvent perpétré en quatrième de couverture. Là, en toute impunité et aux yeux de tous, les éditeurs se livrent à un acte qu’ils n’oseraient pas infliger à un auteur vivant : le spoiler. Combien de classiques voient leur intrigue entièrement dévoilée dans leur dos ? Comme si on les poignardait. Clémentine Beauvais une auteure française l’a parfaitement pointé dans un article aussi hilarant que pertinent sur son blog intitulé : « Lettre ouverte aux éditeurs de romans classiques ». Elle y note que dévoiler l’intrigue envoie des messages catastrophiques au lecteur potentiel : entre autres, qu’un classique ne se lit pas pour le plaisir de l’intrigue et que les classiques tout le monde les connaît ! Très efficace pour dissuader toute envie de lire et de découvrir !

Et enfin, diable dans les détails, il y a les notes en-bas-de-pages. Pour une note utile, combien n’apportent que des précisions dont on sent bien que l’auteur lui-même n’aurait surtout pas voulu en encombrer le lecteur ? Ou qui s’attachent à expliciter un mot que le lecteur avait déjà compris par le contexte ou qu’il aurait eu le plaisir de découvrir par lui-même. Ces notes agissent comme des garde-chiourmes au-dessus de notre épaule.

Et puis, elles présupposent que le lecteur — quel que soit son âge — doit tout comprendre. C’est plutôt nous qui devrions lire comme des enfants, sans chercher à tout comprendre. Comme l’écrit Michel Zink dans Seuls les enfants savent lire (Belles Lettres) en évoquant son vert paradis des lectures enfantines : “Au fond, j’avais beau ne rien comprendre, je comprenais tout. C’est ainsi que les enfants lisent. Ils comprennent sans savoir qu’ils comprennent. Ils ont raison. Le lecteur doit accepter d’être dupe de ce qu’il lit, et non jouer au plus malin.”

C’est d’ailleurs à peu près les propos que nous mettions dans la bouche d’une libraire dans notre roman La Petite cloche au son grêle qui s’adresse à la mère du héros-narrateur. Celle-ci qui hésite à lui faire lire Marcel Proust (il n’a que 13 ans) et la libraire de la rassurer : “Si votre fils ne comprend pas tout, quelle importance ? Est-ce que nous-même comprenons tout ce que nous lisons ? Au fond, n’est-ce pas mieux comme cela? Lire c’est aller vers l’inconnu, c’est chercher à découvrir des nouveaux mondes, à percer de nouvelles énigmes… Sans garantie de succès. D’ailleurs, on ne fait jamais le tour d’un livre, on n’épuise jamais la totalité de son mystère… C’est même peut-être ce qui nous échappe qui est le plus important…”

Ces notes en bas de page faussement érudites rompent tout le charme de la lecture. Elles empêchent ce que tout lecture d’un roman devrait être : une école buissonnière.

Pour inciter un ado à la lecture, peut-être faudrait-il déjà ne pas reproduire ce que font avec un malin plaisir les notes en-bas-de-page : nous comporter en garde-chiourme de la lecture.¶

--

--

Paul Vacca
Paul Vacca

Written by Paul Vacca

Auteur. Chroniqueur pour Les Échos Week-end. Intervenant à l'Institut Français de la Mode (IFM Paris), à l’ISG Luxury Geneva (Suisse).

No responses yet